Comment poser un cadre bienveillant à l’enfant ?

Dans une période où le débat est bouillonnant – parfois de façon superficielle et souvent erronée – autour de l’éducation positive et de la question des limites ; revenons aux essentiels de façon sereine et à la lumière d’appuis scientifiques. L’enfant a besoin d’un cadre clair pour bien grandir, de règles et de repères, mais pour que cela fonctionne, ils doivent lui être posés de façon bienveillante et positive.
Comment faire concrètement au quotidien pour poser un cadre, tout en restant dans un lien positif avec l’enfant ?
Comment sortir des modèles éducatifs autoritaristes pour agir de façon non-violente avec nos enfants ? Car « éducation » ne veut pas dire « domination » ! Cela est essentiel, car comme nous le verrons, un mode éducatif empathique favorise un bon développement du cerveau de l’enfant, contrairement à des pratiques éducatives trop stressantes, qui altèrent une bonne construction cognitive et émotionnelle.
Pourquoi poser un cadre à l’enfant ?
L’enfant a besoin d’un cadre rassurant pour évoluer harmonieusement. L’intégration des règles fait partie de ses besoins et apprentissages fondamentaux. Mais comme tous les apprentissages, cela ne fonctionne que grâce à une bonne sécurité affective et un environnement rassurant. Avez-vous déjà réussi à apprendre une langue étrangère si on vous la transmet en hurlant ? Avez-vous appris à conduire sous le coup de la menace et de la peur ?! Non ! Tous les apprentissages ne se font correctement que dans une ambiance apaisée et sécurisante.
L’enfant a besoin de règles stables, qui transmettent des valeurs qui ont du sens. Car éduquer, c’est bien donner à l’enfant les clefs pour comprendre et appliquer les usages et codes de la société dans laquelle il vit. L’aider à se socialiser, c’est l’accompagner à en intégrer les normes pour se comporter selon ses règles, afin d’interagir harmonieusement avec les autres. Mais cette socialisation est un long processus : on ne peut pas demander la même chose à un enfant de deux ans, qu’à un autre de six ans !
Pour cela, l’enfant va avoir besoin d’adultes qui le guident avec patience pour comprendre ce qu’on attend de lui dans un environnement donné (qui varie d’un lieu ou d’une personne à l’autre !).
Il est donc essentiel de poser un cadre sécurisant (à l’écoute de l’enfant et de ses émotions, selon son âge) et sécurisé (veiller à sa sécurité physique et affective).
C’est ainsi que l’apprentissage des règles dans un environnement bienveillant et structurant, va permettre à l’enfant de comprendre la différence entre le bien et le mal, le respect des autres, mieux gérer sa frustration et ses pulsions agressives.
L’adulte doit donc être disponible et attentif pour transmettre avec douceur (ce qui n’empêche pas une certaine fermeté) les règles et repères du quotidien à un enfant pour qui ce n’est pas inné ! C’est bien apprentissage, qui doit être transmis avec patience (car l’enfant apprend par la répétition !) par un adulte qui va aider l’enfant à se repérer dans les différents codes sociaux : ce qui est permis/interdit ; anticiper les réactions ou dangers etc…
Mais pour pouvoir intégrer sereinement ces apprentissages sociaux, l’enfant a besoin de confiance, cohérence et attention.
Réfléchissez à ce que vous voulez vraiment : Un enfant qui obéit aveuglément et sans comprendre ? ou un enfant – et cela va certes prendre plus de temps- qui a compris une règle juste et va l’appliquer car elle prend sens pour lui, dans son respect des autres ?
Communiquer les règles de façon bienveillante et positive
La loi du 10 juillet 2019 nous le rappelle : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Et oui, une éducation non violente – et donc dite « positive » ou « bienveillante », fait bien partie des droits fondamentaux du tout-petit !
« Être bienveillant, c’est porter sur autrui un regard aimant, compréhensif, sans jugement, en souhaitant qu’il se sente bien et en y veillant » nous rappelle la pédiatre Catherine Gueguen dans son livre référence « Vivre heureux avec son enfant. »
Je vais tout de suite éliminer un éventuel malentendu : éduquer un enfant avec bienveillance ne veut pas dire le laisser tout faire… La notion de bienveillance comporte bien le fait de poser des règles claires à un enfant, mais tout est dans la façon de le faire : écouter et comprendre n’est pas tout accepter. Poser le cadre avec douceur et souplesse n’empêche pas une sereine fermeté ni de maintenir une communication positive ! Le laxisme n’est pas être bienveillant envers l’enfant car il l’insécurise au contraire : l’enfant a besoin de comprendre des règles stables et cohérentes pour se repérer sereinement dans le monde qui l’entoure.
Thomas GORDON (psychologue ayant travaillé sur des méthodes évitant les rapports de force) disait : « les groupes ont besoin de règles, mais la façon d’inciter les membres du groupe à respecter les règles fait toute la différence ! »
La pose de cadre ne fonctionne que si elle se fait dans un lien d’attachement et de respect : toutes les recherches montrent que des règles appliquées par peur ne tiennent pas dans le temps et sont transgressées car l’enfant les applique sans en comprendre le sens.
L’objectif de l’adulte doit donc être très clair : aider l’enfant à intégrer peu à peu des règles structurantes car il les comprend (c’est donc un apprentissage qui prendra du temps) et non pas pour qu’il ait un comportement adapté immédiat. Celui-ci serait en effet guidé par la peur de l’adulte, sans en fait s’être réellement imprégné du sens profond de la consigne.
- Le cadre n’est donc applicable que si l’enfant se sent en sécurité, dans un lien d’attachement avec un adulte patient qu’il respecte et qui le respecte.
Isabelle Filliozat : « A être dans le rapport de force, on en perd ses forces »[1]
Les modes éducatifs basés sur le chantage, menace, humiliation, punition, violence… sont donc à bannir car ils vont à l’encontre d’un bon développement de l’enfant.
En cas de stress, notre organisme produit une hormone appelée « cortisol », pour nous faire réagir. A haute dose ou trop fréquente, elle peut être très néfaste – en particulier chez des jeunes enfants – et bloquer le bon fonctionnement du cerveau. Elle abîme notamment la construction des neurones. Sous l’effet du stress, la glande amygdale, la cellule de crise de notre cerveau qui réagit au plus vite lorsque nous avons peur, va débrancher les couches supérieures du cerveau, de la réflexion, du langage, de la compréhension…pour nous faire réagir le plus vite possible (et donc ne pas mémoriser ou apprendre). En bref, ce que nous enseignent les neurosciences, c’est que sous stress, peur de l’adulte etc… le cerveau de l’enfant ne fonctionne pas bien et que les apprentissages sont empêchés. Une consigne donnée en criant ou en menaçant créée du stress chez le jeune enfant, qui va alors agir de façon « réflexe » et non pas intégrer un apprentissage de façon durable.
En bref, sous l’effet du stress, le cerveau des enfants « perd ses moyens » et donc l’apprentissage de la règle que l’adulte s’épuise à énoncer de la mauvaise façon…ne peut pas fonctionner !
La bienveillance et l’empathie agissent directement sur le cerveau de l‘enfant : les enfants ayant bénéficié d’un accompagnement respectant leurs besoins d’écoute et de sécurité, tout en patience et douceur, seront des enfants qui développeront mieux leurs capacités de responsabilité, d’empathie, de confiance en soi et de résilience. Le cerveau de l’enfant n’est pas suffisamment mature pour gérer les fortes émotions, la prise de recul ou pour se calmer seul jusqu’à environ 6 ou 7 ans. C’est une période de grande « plasticité cérébrale » : son cerveau va être modelé par chacune de ces expériences. Ainsi, l’environnement communicationnel et affectif dans lequel il grandira va littéralement agir sur la structure de ces circuits cérébraux et donc ces futures interactions sociales, sa capacité à demander de l’aide etc… Plus il va grandir dans des repères stables et entourés d’adultes empathiques et bienveillants, plus il développera lui-même ses compétences !
L’idée n’est pas de répondre à toutes les envies de l’enfant (« non, pas de chocolat avant de passer à table ! ») mais de réfléchir à ses besoins (« a-t-il faim ? »). Les besoins des enfants ne sont pas toujours les mêmes que ceux des adultes : crier, sauter, défouler son énergie, se cacher, être reconnu et entendu, avoir de l’attention, jouer…sont autant de besoins fondamentaux des enfants (comme expliqué dans la « pyramide des besoins fondamentaux de Maslow »[2]). Les tempêtes émotionnelles et crises de stress des enfants sont souvent dues à des besoins insatisfaits (besoin de repos, de bouger, de nature, de lien, de calme…) : notre rôle d’adulte est donc bien de répondre à ces besoins essentiels et non pas de rentrer systématiquement dans le rapport de force !
Encore une fois, différencions une éducation trop permissive, sans repère (et donc néfaste pour l’enfant), d’une éducation bienveillante qui répond à ses besoins de façon respectueuse.
Quid des astuces concrètes pour poser un cadre bienveillant à son enfant
Le jeu et les livres
Et si nous utilisions plus le jeu pour favoriser l’apprentissage ludique des règles de la vie en société ? Sortons de l’idée reçue qu’il faut forcément un jeu de pouvoir ou un conflit pour poser un cadre : le jeu, le vrai, pour s’amuser, marche très bien pour amener un enfant à comprendre une limite.
- Animer une poupée, une figurine, une marionnette, une peluche…pour faire passer le message ;
- « Cap ou pas cap de faire ça ? » ;
- « Qui va le plus vite pour ranger ? et si on rangeait en musique ? Inventions des comptines ? ».
Faire plus souvent des jeux à règles ou des jeux de société est une excellente façon d’apprendre à l’enfant à respecter une consigne, attendre son tour etc…
- Utiliser les livres pour favoriser la compréhension et l’imitation: les histoires où ces héros préférés apprennent une règle sont une bonne façon pour l’enfant de mieux intégrer les codes sociaux.
La nature
Les recherches montrent que le lien avec la nature développe les capacités sociales, émotionnelles, attentionnelles et de coopération, tandis qu’il réduit les conflits et gestes agressifs.
L’humour
Mettre de l’humour et de la légèreté : pas besoin d’une trop grande sévérité ou d’hurler pour se faire comprendre ! Et demandez-vous toujours : est-ce que pour vous adulte ça marche bien si votre patron vous hurle dessus et vous fait peur pour vous faire comprendre quelque chose ?! Ne préférez-vous pas un manager qui vous montre qu’il vous fait confiance, tout en vous guidant clairement avec des repères compréhensibles et cohérents ? Et bien cela fonctionne de la même façon avec un enfant !
Les règles : les 3 fondamentaux pour vous aider !
Pas trop de règles, choisir les plus pertinentes. Un cadre, oui, mais la multiplicité de règles et la façon de les poser va avoir une importance essentielle !
Pour une meilleure compréhension et mémorisation pour l’enfant, limitez le nombre de consignes pour ne garder que celles qui concernent directement :
- le respect de soi (ne pas se mettre en danger par exemple),
- le respect des autres,
- le respect du matériel (ne pas abîmer etc…)
Ce sont vos 3 fondamentaux pour des règles et repères qui ont du sens ! Vous pouvez aussi les illustrer en images (plus faciles à comprendre), affichées dans les lieux de vie de l’enfant.
Pour être efficaces, ces règles doivent être :
- Applicables: Adaptées au développement et la compréhension de l’enfant et réaliste par rapport au quotidien de la famille. Et pour cela…il va falloir du TEMPS ! Laissez du temps à l’enfant pour s’imprégner du cadre, en comprendre le sens… ;
- Connues à l’avance (prévisibles) car stables et cohérentes ;
- Souples et ajustables selon les situations. Trouvez l’équilibre entre un cadre souple mais pas trop rigide.
Faire participer l’enfant
Car cela favoriser l’autonomie : sans pour autant partir dans des discussions ou compromis sans fin, il est essentiel de proposer à l’enfant un environnement où il est acteur et où il pourra exercer des choix (tout comme vous, vous préférez votre petit pull bleu à votre large rouge, votre enfant préfère peut-être tel bavoir à un autre !).
En favorisant la coopération à la punition, vous rendez l’enfant participatif à la compréhension du cadre posé.
Encouragement et renforcement positif
« L’encouragement est à l’enfant ce que l’eau est à la plante » Rudolf Dreikurs, psychiatre autrichien. A trop insister sur ce que l’enfant ne fait pas ou fait mal, nous appuyons sans le vouloir sur les comportements négatifs, plutôt qu’en favoriser les positifs ! L’enfant a besoin d’être valorisé pour d’autant mieux mettre en œuvre les règles. Pour renforcer les comportements appropriés de l’enfant, lorsque vous posez une limite, prenez garde à bien différencier le comportement de la personnalité de l’enfant : il n’est pas « méchant » ou « capricieux » … mais en revanche il n’a pas le droit de taper !
Favoriser la communication positive
Evitez les consignes trop négatives, plus difficiles à comprendre pour l’enfant (ça ne signifie pas dire oui à tout !) : l’enfant comprend beaucoup mieux les consignes positives. Par exemple « la porte reste fermée » est bien plus clair pour un jeune cerveau que « n’ouvre pas la porte ». Pourquoi ? Si je vous dit « Ne pensez pas à une girafe ! » que s’est-il passé ? Et oui 😉 le cerveau priorise les verbes d’action et met de côté la négation, d’autant plus chez un petit en construction !
Agir sur l’environnement EN AMONT
Et si nous nous interrogions non pas sur « comment je pose la règle », mais plutôt « comment l’anticiper ? » Quel CADRE fournir en amont pour éviter le conflit ? Un environnement adapté et sécurisé va en effet limiter le nombre de limites à poser. Par exemple, si vous voulez éviter que l’enfant réclame des bonbons, ne les laissons pas en vue sur le comptoir de la cuisine…
En conclusion
Les recherches récentes montrent que les interactions bienveillantes et sécurisantes influencent directement le développement cérébral de l’enfant. L’engrais du cerveau de nos jeunes pousses est bien un lien d’attachement à un adulte soutenant, prévenant, et non pas dans un lien de domination, de menace ou d’humiliation. Les milliers d’études réalisées à travers le monde le montrent : une éducation trop punitive et non respectueuse de l’enfant entraîne un mauvais développement cognitif et affectif.
Alors oui, cela est parfois plus exigeant au quotidien, cela prend parfois plus de temps, mais cela est d’une part bien plus efficace sur la durée, et d’autre part, cela invite à s’interroger sur un sujet de fond : Quel projet de société souhaitons-nous pour nos enfants ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque l’on parle éducation : nos modes éducatifs vont-ils donner le ton de la domination ou de la coopération ?
Bien entendu, maintenir au quotidien cette volonté éducative empathique et bienveillante n’est pas toujours simple : soyons indulgent envers nous-même et accordons-nous la possibilité de prendre du recul en temps qu’adulte, de respirer, voire même éventuellement de s’isoler pour se calmer. Plus vous monterez en pression, moins vous arriverez à rendre compréhensible la règle à l’enfant.
Enfin, dans les débats actuels qui déforment les propos originels par manque de connaissances réelles, rappelons que Maria MONTESSORI disait : Il ne s’agit pas d’abandonner l’enfant à lui-même pour qu’il fasse ce qu’il voudra, mais de lui préparer un milieu où il puisse agir librement »…
Aller plus loin :
Par Elise MAREUIL, Educatrice, maîtrise en sciences de l’éducation, auteure et formatrice.
[1]TEDX : comment rebrancher son cerveau ? https://www.youtube.com/watch?v=CNSylSf02WU
[2] https://papapositive.fr/la-pyramide-de-maslow-pour-les-enfants-8/