Le livre et les histoires dans la construction de l’enfant
Le livre a une place de choix dans le développement harmonieux de l’enfant, et ce durant toutes les premières années de sa vie. Il favorise des aspects fondamentaux de sa construction langagière, imaginative, créative, intellectuelle…Il l’ouvre sur le monde…sur DES mondes différents ou fantastiques, tout en le reliant à sa culture, à ses histoires transmises de générations en générations. Ainsi, le livre est porteur de beaux moments entre enfant et adulte : il va permettre de partager des mots, des images, du sens, du lien…
Le livre peut aussi ouvrir à d’autres découvertes, apprentissages, sorties… et aussi comptines et jeux en lien. Les histoires ne se trouvent pas que dans les livres…
En tant que parent ou nounou, comment transmettre aussi autrement des récits fondateurs de notre enfance ? Comment raconter et jouer avec nos enfants ?
Des histoires dès tout-petit pour de multiples bienfaits !
« Un adulte va lire pour se distraire, un enfant va lire pour se construire » Joann SFAR
Dès bébé, dès les premiers jours, l’enfant a besoin de mots pour grandir harmonieusement. Il rentre dans le langage bien avant qu’il ne dise ses premiers mots, comprend beaucoup avant de parler, grâce à la « musique de la langue », aux premiers échanges vocaux (parole, histoires lues, chants…) et aux mouvements, sons, mimiques et intonations liés : le récit face à face adulte-bébé est donc essentiel dès le plus jeune âge ! C’est un formidable « tableau d’éveil » pour le jeune enfant. C’est grâce à cela qu’il va passer du « son » au « sens » : les livres vont alors y avoir toute leur place.
Toutes les recherches montrent que plus tôt le bébé est en contact avec le livre, plus ses grands apprentissages en seront aisés (lecture, langage, imaginaire…), favorisant ainsi la lutte contre les inégalités.
« Il est certain que, dès le tout jeune âge, le besoin d’histoires racontées est essentiel pour que les enfants puissent franchir de façon satisfaisante les étapes de leur croissance. Sans les jeux avec l’imaginaire, le bébé ne saurait accéder ni au langage ni à la vie de l’esprit. » 1
Puis, en grandissant, le livre, l’album jeunesse, aura une place de choix pour développer au fil des âges le langage et l’imaginaire.
Les livres permettent le contact avec la langue du récit, différente de celle du quotidien : le langage raconté a un vocabulaire, une syntaxe et un rythme plus complexe. Les enfants adorent ce langage narratif dans lequel ils trouvent une musicalité, des répétitions de termes, de rythmes, qui constituent de véritables repères structurants et clefs d’entrée dans le langage et la culture.
La répétition de la lecture régulière de la même histoire permet au vocabulaire de s’ancrer pleinement et de se familiariser avec la structuration d’un récit, la logique, les causes à effets et la chronologie.
L’acquisition du langage est une transmission « naturelle » grâce au bain langagier de l’environnement de l’enfant : plus le monde des mots autour de lui est riche, plus l’enfant acquerra une variété de vocabulaire. L’enfant apprend en moyenne cinq nouveaux mots par jour entre 18 mois et 5 ans : un à trois de ces nouveaux mots sont extraits par l’enfant lors de lectures partagées !
Grâce à ces mots portés par les histoires, aux images variées des albums jeunesse, l’enfant va pouvoir également développer son imaginaire, sa créativité et s’éveiller à l’esthétique. Les livres ouvrent à d’autres mondes fantastiques, à d’autres cultures, aux formes, aux couleurs, aux graphismes multiples.
Un petit focus : que l’on ne s’y trompe pas, les écrans ne remplaceront jamais les livres
Les recherches le montrent toutes de façon unanime : les écrans ne permettent ni interactions, ni découverte de la syntaxe par la lecture, indispensables au développement harmonieux du langage. Tandis que le livre permet à l’enfant de construire une pensée chronologique par la construction du récit en lui-même, par le fait de tourner les pages du livre… ce qui n’existe pas avec un écran. L’aspect animé de l’écran peut sembler plus attirant pour un enfant, mais il n’en n’est en réalité rien ! (Voir notre article sur les écrans) Cela met en route une attention automatique, presque « hypnotique », mais qui ne met pas en route les apprentissages, tandis que le livre laisse toute la place à l’imagination via les mots les illustrations etc …
Et les livres sur tablette ? Une étude récente montre que la compréhension et la mémorisation de textes est bien meilleure lorsque la lecture s’effectue sur papier que sur écran.2
Les albums jeunesse seront ainsi un support très précieux pour aborder divers thématiques au fil des âges, être un médiateur pour aborder les thèmes essentiels de la vie de l’enfant, au fil des événements (l’entrée à l’école ; le respect du corps ; l’amitié ; le deuil ; une séparation ; les différences ; les peurs etc…). Autant de sujets pas toujours faciles à aborder, pour lesquels le livre est un formidable outil afin d’amorcer une discussion tout en douceur…
Pour ce faire, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre médiathèque de quartier et des bibliothécaires qui y exercent : ils sauront vous conseiller les livres parfaits par thématiques et adaptés à chaque âge. Il est important que la visite à la médiathèque soit un RDV régulier, devienne une habitude pour ancrer le livre comme un objet du quotidien de l’enfant.
Favoriser la découverte du livre
Raconter une histoire à un enfant ne doit pas se résumer à ce qu’il l’écoute « sagement » assis la lecture d’un livre, dans une posture passive… Les enfants ont besoin de « vivre » l’histoire, que l’adulte la rende interactive.
Il est normal que les enfants aient besoin de se mettre en mouvement si le récit provoque en eux des réactions, des émotions… Une écoute passive ne veut pas dire que l’enfant se concentre mieux que lors d’une écoute « active ». Marie BONNAFE l’explique : « Les enfants manipulent des albums autres que celui que raconte l’animatrice. Ils les portent à la bouche, les retournent, les feuillettent, tout en étant aux aguets de l’histoire racontée par l’adulte mais, souvent, sans rien en montrer (…) Parfois, l’un d’eux s’isole : tout seul, ou avec un autre enfant, il se raconte le livre à sa façon… »3
Cette exploration du livre n’est donc pas à recevoir de la part de l’adulte comme une provocation, mais comme un besoin fondamental de découverte. L’enfant expérimente d’abord physiquement l’objet pour peu à peu en comprendre l’usage social et culturel. Avant une posture de lecture, l’approche est déjà ludique et relationnelle4.
Quel récit de votre enfance avez-vous envie de faire vivre ? Quelle histoire avez-vous envie de mettre en mots, en chants, en comptines, en jeux, en mouvements…bref, en partage ?
Car oui, le livre est bien un outil relationnel et d’attachement essentiel ! Il prend surtout vie dans le plaisir du partage et de la transmission, pour un vrai moment ensemble, ici et maintenant, pleinement ancré dans le présent. Les histoires participent à la construction psycho-affective tout au long de l’enfance.
Le livre accompagne l’enfant à se connaître, se découvrir : en s’identifiant aux personnages ou situations de l’histoire, le jeune enfant fera des liens avec ses propres ressentis, son vécu ; et avancera dans la construction de sa personnalité.
Une des pistes est donc de faire VIVRE le livre, proposer des jeux en lien avec des livres : le livre devient alors le point de départ d’une autre aventure, constituée d’expérimentations et d’imaginaire AUTOUR de l’histoire, de l’album.
Utiliser des accessoires peut aider à rendre les histoires plus vivantes et à capter l’attention des enfants :
- Figurines, marionnettes, objets liés au livre à mettre en scène au fil de l’histoire
- Tapis à histoire
- Butaï / Kamishibaï
- Théâtre d’ombres chinoises…
Créer des jeux en lien avec le thème du livre : sur les couleurs, la pomme etc…
La découverte du livre doit rester avant tout ludique, en laissant l’accès « libre » au livre : cela est essentiel d’une part pour que l’enfant ait le choix de ses lectures, mais surtout pour qu’il apprenne à prendre soin du livre. Nous ne pouvons faire cela qu’en le laissant justement manipuler le livre : l’enjeu est donc d’accompagner là l‘enfant à prendre soin de cet objet délicat…tout en le laissant manipuler pour l’expérimenter avec ses 5 sens !
Exemples de livres favorisant le jeu :
- Les livres-objets tels que les ouvrages de la maison d’édition « Les grandes personnes »
- Les livres à manipuler comme par exemple « La Chenille qui fait des trous » de Eric Carle, pour les plus grands, des livres avec des volets à soulever pour lire des informations, etc…
- Les livres qui font bouger tels que « La Chasse à l’ours » de Helen Oxenbury
- Les livres à jouer tels que tous les ouvrages de Hervé TULLET
Il sera aussi essentiel de varier les types de livres mis à disposition de l’enfant : imagiers, documentaires, contes, livres comptines, livres animés, livres dont vous êtes le héros, les livres jeux (cherche et trouve…), les livres sonores, les livres sans textes…
Votre posture d’adulte va aussi beaucoup participer à l’intérêt que l’enfant aura pour le livre. Dominique RATEAU, orthophoniste et thérapeute du langage préconise de dire « lire AVEC » le jeune enfant 5 et non « POUR » l’enfant (ce qui le met en position passive). Etre « avec » c’est créer un véritable moment d’échange, et rendre pleinement l’enfant ACTEUR de la relation à l’autre et de l’histoire.
Enfin, il est important de réfléchir à proposer une ambiance propice (contexte, cadre, espace, moment, livres choisis…) et à une mise en scène qui permettra d’accrocher l’attention (ton, variations, cacher des objets…)
Le livre doit être présent au quotidien, un véritable moment de rituel et de repère, par exemple pour marquer différents temps de la journée (comme évidemment l’histoire du soir).
En conclusion, tout est dit pour résumer tous ces bienfaits du livre, dans ce très beau texte de l’association « lire à voix haute Normandie »6 :
« La littérature de jeunesse, par son lien intime avec la langue du récit, est une “nourriture” indispensable au tout-petit. Dans ces albums sont abordées des questions fondamentales, humaines, philosophiques, qui nous concernent tous dans notre humanité… l’amour, la naissance, l’amitié, la séparation, les joies, les découvertes, le deuil… tout est là, de façon très condensée, dans des récits d’une force et d’une intensité remarquables.
Cette littérature permet à l’enfant de nourrir son imaginaire, d’enrichir son vocabulaire, de rêver, de développer peu à peu sa capacité à penser par lui-même, en d’autres termes, d’accéder à une véritable autonomie et de se construire ainsi en tant que “petit sujet distinct”.
Un contact fréquent avec les histoires permet à l’enfant de sortir du quotidien, de l’ici et maintenant, d’expérimenter à la place de l’autre, sans aucune limite, dans le temps circonscrit et sécurisant du récit. Peu à peu, cela lui permet de mieux se connaître, d’apprendre très tôt à se mettre à la place de l’autre et d’avoir conscience que des émotions et des sentiments sont partagés par d’autres que lui… »
1 M.BONNAFE est psychiatre, co-fondatrice de l’association ACCES. https://www.lecture.org/revues_livres/actes_lectures/AL/AL45/AL45LU3.pdf
3 http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1986-01-0078-011
4 https://shs.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2014-3-page-105?lang=fr
5 https://lesprosdelapetiteenfance.fr/eveil-activites/biblio-enfants/litterature-jeunesse/dominique-rateau-therapeute-du-langage-le-trio-qui-compte-cest-ladulte-le-livre-et-lenfant
6 https://www.lireavoixhautenormandie.fr/lire-des-livres-avec-des-b%C3%A9b%C3%A9s/pourquoi-lire-des-livres-avec-des-b%C3%A9b%C3%A9s
Elise Mareuil, Educatrice et experte pédagogique, formatrice, auteure et conférencière.