Réguler les écrans pour les enfants : pourquoi et comment ?
Nous sommes actuellement dans un nouveau et vrai défi quant à l’accompagnement des enfants dans leur usage des écrans, qui sont aussi d’une variété nouvelle (TV, ordinateur téléphone, mobile, tablette, console de jeux…) : aujourd’hui, les familles Françaises possèdent en moyenne 6 écrans selon le CSA !
Notre experte de l’enfance Elise MAREUIL, spécialiste du jeu et de la nature, vous donne ici des clefs, sans culpabilisation ni diabolisation, pour trouver ensemble une utilisation la plus raisonnée possible des écrans.
Vous découvrirez pourquoi il est important de limiter les écrans pour le développement harmonieux des enfants, quelles astuces pour diminuer leur temps d’utilisation, mais aussi comment mieux les utiliser et également quels jeux proposer à la place !
Mieux connaître le développement de l’enfant pour mieux comprendre l’impact des écrans
Lorsqu’un enfant est exposé aux écrans de façon excessive et précoce, cela se fait forcément au détriment d’autres activités et interactions essentielles pour son développement.
Les premières années de la vie, le développement affectif, social, moteur, sensoriel et cognitif est en plein développement ! L’être humain apprend plus les 3 premières années de sa vie, que tout le reste de son existence !
Son cerveau est en pleine construction. Ce phénomène s’appelle la « plasticité cérébrale » : Les 5 premières années de vie, le cerveau créé 700 à 1000 connexions entre les neurones par secondes !
Plus un enfant joue librement, plus il met son corps en mouvement de façon variée, plus il éveille ses 5 sens, plus il est en relation avec un adulte bienveillant qui communique avec lui, plus ce jeune cerveau va se développer de façon optimum !
L’enfant est un explorateur, qui va comprendre le monde qui l’entoure en faisant des expériences CONCRETES, REELLES (et non pas virtuelles) et en expérimentant avec sa sensorialité et sa motricité : en patouillant, en sautant, en touchant, en grimpant, en faisant des essais et des erreurs… Cela s’appelle l’intelligence sensori-motrice. Plus il est jeune et plus cela est vrai !
Un exemple très concret : un enfant n’apprend pas à faire du vélo en regardant des vidéos sur une tablette ! Il apprend en tentant « pour de vrai » sur vélo, son corps en mouvement, en ressentant les mouvements, l’équilibre, en se trompant … et en essayant encore !
De plus, une des clefs d’apprentissages de l’enfant est la relation avec un adulte : l’enfant apprend dans la relation et l’imitation. Par exemple, l’enfant entre dans le langage en étant en interaction active avec son entourage et absolument pas sur une tablette qui répéterait des mots d’une voix artificielle : le langage se créé dans la relation !
C’est en cela que j’ai l’habitude de dire que l’écran « éducatif » n’existe pas ! Ne vous y trompez pas, et ce malgré un bel enrobage marketing : le jeune enfant ne fait pas d’apprentissages fondamentaux via un écran ! Les apprentissages virtuels fonctionnent uniquement avec les plus grands, accompagnés d’un adulte et couplés avec des apprentissages dans le « réel ».
Une « fausse » attention
Beaucoup d’adultes ont le sentiment que les écrans sont bons pour l’enfant car il à l’air de s’y intéresser, il semble comme captivé !
Mais cette attention est en fait passive, « réflexe » : l’enfant est comme « hypnotisé ».
Lorsqu’il est devant un écran, l’enfant ne fait pas travailler les parties du cerveau liées à la concentration volontaire : ce n’est pas de la concentration mais de la SUR-STIMULATION :
La rapidité des images, l’éclairage, les sons artificiels, les mouvements rapides, les coloris souvent vifs…créent une stimulation néfaste, de l’ordre de la vigilance, une absorbation dont l’enfant aura du mal à s’extraire par lui-même.
Il faut donc bien distinguer « l’attention volontaire », créée et entretenue grâce à des activités telles que les livres, l’expression créative, les jeux, le lien à la nature etc… et cette stimulation externe des écrans néfaste au développement de l’enfant. Pire ! Une sur exposition aux écrans empêche cette attention volontaire de se développer correctement, car l’enfant est habitué devant les écrans à une sur-stimulation « artificielle » et externe, plutôt que d’apprendre à puiser en lui et dans le calme des capacités de concentration. Ce phénomène est évidemment très préjudiciable, car ces capacités d’attention volontaire sont essentielles pour développer des apprentissages fondamentaux !
En effet, la lumière bleue produite par les écrans, couplée à la très rapide fréquence des images provoque un effet d’excitation sur un jeune cerveau en construction, non prêt à absorber ce type d’informations !
Les troubles liés à un mauvais usage des écrans
Un temps d’écran mal régulé entraîne des dysfonctionnements au quotidien, un certain nombre de troubles, facilement identifiables, qui vont venir toucher :
- Les troubles physiques : Le Pr François Carré1 souligne : « En 1971, un enfant courait 800 mètres en 3 minutes, en 2013 pour cette même distance, il lui en faut 4 ! ». Ce manque d’activité physique entraîne aussi une augmentation de la masse corporelle, supérieure à la moyenne à l’âge de 5 ans, pour les enfants exposés aux écrans dès 2 ans. 2
- La motricité : assis devant un écran, l’enfant n’exerce pas une variété de capacités motrices ! Pour un bon développement sensori-moteur, l’enfant a besoin de bouger et d’expérimenter le monde qui l’entoure avec ses 5 sens
- La sensorialité, justement ! Les stimulations sensorielles générées par un écran ne sont pas adaptées car beaucoup trop vives pour un cerveau en plein développement : elles créent une excitation neuro-sensorielle néfaste.
- Le langage : c’est en échangeant avec un adulte attentif, qui communique avec lui, entre en relation bienveillante par des mots adaptés, que l’enfant apprend à parler. Par exemple, laisser l’enfant devant un écran avant l’école multiplie par 3 ses risques de développer des troubles primaires du langage et par 6 s’il ne discute jamais ou rarement avec ses parents de ce qu’il a vu. 3
- Sa créativité, son expression et son autonomie : devant un écran, un enfant est souvent passif et n’interagit pas avec son environnement. Il devient alors spectateur et non acteur. Or, pour développer des capacités fondamentales telles qu’être autonome ou créatif, il faut avoir appris à agir sur le monde qui nous entoure.
- La concentration : nous l’avons dit, les écrans perturbent les capacités d’attention des enfants. Attention aussi à la TV en « fond sonore », car cela empêche une bonne concentration.
- Les relations affectives et sociales : un temps d’écran mal régulé diminue les temps d’interactions entre l’enfant et les personnes qui l’entourent, adultes ou enfants. Cela vient troubler le lien d’attachement et diminue ses capacités de socialisation. Cela créé moins de moments de communication, d’échanges et de tendresse en famille (en savoir plus : https://bougribouillons.com/ecrans-et-jeunes-enfants/)
- Le risque de confusion réel / virtuel : L’enfant vit dans le présent et l’expérimentation concrète ; Dans la jeune enfance, se construisent les repères de temps, des conséquences et les effets de nos actes etc… L’imaginaire n’est pas encore construit. Toutes ces notions sont grandement perturbées par un lien trop fort au monde virtuel et brouille les repères sur l’irréversibilité d’une action, les actes complexes pour parvenir à un résultat, le temps réellement nécessaire etc… Il est donc essentiel pour un enfant de grandir dans le monde réel et non virtuel.
- Le sommeil : Les écrans produisent de la lumière bleue artificielle, qui va perturber sa sécrétion de mélatonine, l’hormone qui favorise l’endormissement. Les écrans émettent du bruit qui vont éveiller le corps et l’esprit de l’enfant. Ils vont également stimuler son cerveau juste avant de dormir et donc venir retarder son heure d’endormissement, même s’il est fatigué. Les écrans doivent être éteints au minimum 1h30 avant le coucher, totalement bannis du lieu de sommeil, et surtout pas utilisés pour calmer et comme moyen d’endormissement.
- L’alimentation : Une surexposition aux écrans contribue au risque de surpoids et d’obésité. Une étude Américano-canadienne montre que chaque heure supplémentaire passée par les enfants passent sur les réseaux sociaux est associée à un risque 62% plus élevé de développer une consommation anormalement importante de nourriture (39% en ce qui concerne la TV).
- La régulation émotionnelle : Une étude réalisée à l’Université de Sherbrooke4 a pu démontrer un lien mesurable entre le temps passé devant les écrans et une diminution dans la capacité de gérer les émotions négatives. Chaque heure passée devant un écran à 3 ans et demi induit une augmentation des manifestations de colère et de frustration un an plus tard. Plus on augmente le nombre d’heures par jour devant les écrans, plus l’enfant a tendance à réagir à différentes situations avec colère et frustration. Le temps devant un écran est passé au détriment d’interactions avec d’autres êtres humains, et donc des expériences nécessaires pour apprendre à réguler ses émotions. Gare également à l’habitude de donner un écran à l’enfant pour le calmer ! Fausse bonne idée car l’enfant apprend alors à réguler ses émotions de façon artificielle, superficielle et externe, plutôt que de chercher en lui les ressources internes. Enfin, le sommeil et l’activité physique sont de puissants régulateurs des émotions, hélas mis à mal par les écrans, comme nous l’avons évoqué.
[1] https://www.fedecardio.org/presse/les-enfants-ont-perdu-25-pour-100-de-leur-capacite-cardiovasculaire/
[3] http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2020/1/pdf/2020_1_1.pdf
[4] https://www.lapresse.ca/societe/sante/2023-02-09/etude-de-l-universite-de-sherbrooke/l-utilisation-des-ecrans-nuirait-a-la-regulation-emotionnelle-des-petits.php
Des usages différents selon l’âge
Il est essentiel de comprendre que l’usage des écrans doit être totalement différent selon l’âge, que cela soit en terme de durée, de contenus et de supports. Il est essentiel de toujours respecter les âges recommandés par programme.
Les recommandations sont très claires, notamment grâce au concept « 3-6-9-12 » :
Avant 3 ans : toute forme d’écran est déconseillée ou au maximum de 10 minutes, avec un programme bien choisi : doux, peu stimulant, regardé en famille, sur la télévision pour échanger et expliquer.
Entre 3 et 6 ans : 1h par jour maximum, par petites sessions de 20 minutes maximum, et toujours accompagné d’un adulte
6-9 ans : 2h par jour maximum, sessions de 30 minutes et accompagnées. Des jeux vidéos adaptés peuvent être introduits, en priorité collectifs et qui mettent en mouvement (type WII) ou créatifs.
Après 10 ans : 2h par jour maximum, sessions de 30 à 40 minutes, en autonomie possible, dans un lieu de passage avec un adulte à proximité, attentif à échanger sur le vécu de l’enfant sur ce qu’il vient de voir, même s’il n’était pas présent.
Bien choisir le support, le contenu, le moment et la durée
Une très large étude menée sur 14 000 enfants de 2 à 5 ans5 le souligne clairement :
c’est le contexte d’utilisation qui prime chez les jeunes enfants, ainsi que la qualité du contenu proposé, la possibilité d’interactivité, afin que l’enfant ne reste pas passif et enfin l’accompagnement par un adulte impliqué : plus l’enfant est jeune, moins il doit être laissé autonome face aux écrans !
[5] Etude parue dans The Journal of Child Psychology and Psychiatry : https://presse.inserm.fr/ecrans-et-developpement-cognitif-de-lenfant-le-temps-dexposition-nest-pas-le-seul-facteur-a-prendre-en-compte/67438/
Et concrètement ?
Quitte à choisir….Préférez la TV en famille plutôt que la tablette ou téléphone qui créé un effet « bulle » et coupent l’enfant de l’environnement autour.
Privilégiez l’installation et la consultation des écrans dans des pièces avec du passage.
Choisir des programmes courts et adaptés à l’âge. Par exemple, des images lentes, des sons doux, une histoire calme et des couleurs pastels pour les plus jeunes.
Vérifier le nombre d’images par seconde :
Les « vieux » dessins animés comportent 12 images par seconde car c’est le maximum d’images que l’œil humain peut gérer, tandis qu’aujourd’hui ils en comportent souvent 24 à 25. Or, ce rythme bien trop rapide est peu absorbable par un enfant et perturbent les capacités d’apprentissage.
L’université de Virginie (États-Unis), a mené une étude6 passionnante pour comparer les aptitudes d’un groupe d’enfants de 4 ans après avoir regardé deux types de dessins animés très différents : Bob l’éponge, aux couleurs criardes, à la surstimulation sonore et d’actions , et Caillou, calme, doux et ancré dans le quotidien d’un enfant. Les capacités d’attention et de concentration des enfants étaient similaires après avoir vu Caillou ou après avoir fait un dessin, tandis qu’elles étaient diminuées après 9 minutes passées devant Bob l’éponge.
Pour mieux comprendre cette histoire d’images trop excitantes, je vous invite à faire l’expérience de regarder quelques minutes de chacun de ces deux dessins animés : la comparaison est frappante !
Choisir le bon moment :
L’idéal est de mettre en place un planning, avec un temps d’écran délimité, fixé avec des repères clairs. Vous pouvez pour cela vous aider du programme « 4 temps sans écran7»
- Jamais tôt le matin, en particulier avant l’école ou la garderie
- Jamais avant de s’endormir
- Jamais dans le lit, jamais seul dans la chambre. Un adulte est toujours à proximité et sait ce que l’enfant regarde
- Jamais pendant les repas : Une étude8 montre notamment que 41% des enfants de 2 ans passent les repas avec la TV allumée, ce qui provoque de moins bons scores de développement du langage et un moins bon développement cognitif global à 3 ans et demi.
Le 1er auteur de l’étude explique : « La télévision, en captant l’attention des membres de la famille, interfère avec la qualité et la quantité des interactions entre les parents et l’enfant. Or, celle-ci est cruciale à cet âge pour l’acquisition du langage. De plus, la télévision ajoute un fond sonore qui, lorsqu’il se superpose aux discussions familiales, va rendre difficile le déchiffrage des sons pour l’enfant et limiter la compréhension et l’expression verbales. »
Astuces :
- Repousser le plus longtemps possible les 1ers écrans
- Contrôler les contenus : Paramétrer tous les écrans avec les systèmes de contrôles parentaux
- Pas de re-lancement automatique des programmes : préférez des systèmes où le programme s’arrête après un épisode par exemple
- Mettre au point un rituel amusant pour arrêter l’écran : rendre l’enfant acteur (l’avoir annoncé avant et le rappeler quelques minutes avant la fin)
- Des règles claires et fixes, rappelées régulièrement avant allumage !
- Toujours parler de ce que l’enfant vient de voir
- Discuter avec les enfants de leur usage des écrans, par exemple grâce au jeu de société Bioviva : « bien gérer les écrans »
- Montrer l’exemple en limitant notre temps d’écran d’adulte devant les enfants en particulier. S’interroger sur notre propre usage des écrans : l’enfant a besoin de notre regard attentif pour grandir en confiance ; un œil bienveillant doit donc être porté à l’enfant et non en permanence à un écran.
- Gérer différemment le temps d’écran selon l’âge dans la fratrie : Demandez aux plus grands d’utiliser en priorité les écrans à des moments où les plus jeunes sont occupés. Proposez pendant ce temps aux petits des alternatives ludique et plaisir, « qui font envie » (ex : « boîte magique » avec des jouets et activités spécifiques à ce moment privilégié…)
- Utiliser les outils numériques de façon créative…et active ! Créer des montages photos, des dessins virtuels, faire des chasses aux trésors en nature avec des applications dédiées, ou encore du sport en famille grâce à des programmes en ligne : autant d’utilisations intéressantes du numérique !
Mon astuce d’éducatrice
Partir de l’écran, du thème qui intéresse l’enfant, pour le détacher de l’écran et l’amener sur d’autres supports, mais sur le même thème qui attire son attention ! Faire sortir l’histoire de l’écran pour la transformer en jeux et moments avec l’adulte.
Par exemple, pour un enfant fan de Pat ‘Patrouille, partir de cela pour l’intéresser aux chiens dans la vie « réelle », et peu à peu le détacher de l’écran :Choisir des jeux, livres, CD, coloriages avec Pat-patrouille, hors écran, puis peu à peu avec des chiens plus « réalistes » pour le ramener vers le monde non virtuel et découvrir la vraie vie canine. Chantez des comptines sur les chiens, aller à leur rencontre, lisez des livres « documentaires » sur les chiens etc…
Chercher des alternatives aux écrans :
Les boîtes à histoires ; les podcasts adaptés à l’âges des enfants (comme par exemple les contes pour les 5-7 ans d’ « une histoire et Oli » avec France Inter),
Faire des sorties en lien avec le thème du dessin animé, du jeu vidéo qui passionne l’enfant : exposition ; observation d’animaux ; séance sportive…
Avoir en tête des idées de jeux simples et rapides pour remplacer les temps d’écran. Un site est dédié pour vous y accompagner : https://sansecran.ca
Sortir en nature ! Le manque de nature entraîne des troubles et les écrans éloignent les enfants de tous les admirables bienfaits du milieu naturel9, alors que les enfants ont une curiosité naturelle pour la nature. Pourtant, moins d’un enfant sur 5 va tous les jours dans un parc ou un espace naturel : c’est la 1ère génération être aussi peu au contact de la terre et de la nature.
Pour en savoir plus, consultez notre précédent article : l’éveil à la nature et aux saisons
Une astuce pour vous aider avec des ados accros aux écrans : utiliser des applications de chasses aux trésors pour sortir en s’aidant du mobile… Une urgence : Aujourd’hui nous passons 75 à 90 % de notre temps en intérieur.
Conclusion
Nous sommes face à un sacré défi pour réguler les écrans au quotidien, en faire un outil intelligent, bien utilisé et avec le plus de parcimonie possible, qui ne remplace pas les jeux et interactions avec l’entourage de l’enfant !
Pour cela, dans une relation entre famille et nounou, il est essentiel d’échanger sur le cadre posé à l’enfant quant aux écrans, afin qu’il bénéficie de règles cohérentes avec les différentes personnes qui s’occupent de lui (cela est aussi valable quant à l’usage des écrans par les adultes encadrant l’enfant).
Elise Mareuil, Educatrice et experte pédagogique, formatrice, auteure et conférencière.